Les tibétains en France
Le début de la présence de Tibétains en France peut être daté de1908 lorsque le grand tibétologue Jacques Bacot, de retour de son voyage dans les Marches tibétaines, arrive à Marseille accompagné de son guide et traducteur Adjroub Gompo. Celui-ci narrera sa découverte de la France dans son récit "Voyage du nommé Adjroub Gompo de Patong", qui figurera en annexe du livre de Bacot "Le Tibet révolté". En 1909, Adjroub Gompo repart seul afin de préparer le second voyage de Jacques Bacot au Tibet.En 1925, c'est au tour d'Alexandra David Néel de revenir en France, au Havre, accompagnée du lama Aphur Yongden, son fils adoptif. Ils repartiront ensemble en Asie de 1937 à 1946, avant de se fixer définitivement à Digne-les-Bains, où Yongden meurt en 1955.
Fin 1960, grâce au couple de tibétologues Alexander et Ariane Macdonald, Dagpo Rinpoché arrive à Paris en compagnie de Thupten Phuntshog et d'un couple, Tashi Dolma et Lobsang Tensing. Dagpo Rinpoché collaborera avec le Pr Rolf A. Stein, tibétologue, futur professeur au Collège de France. Il intégrera l'INALCO en 1963 où il enseignera la langue et la civilisation tibétaines sous le nom de M. Jampa jusqu'en 1992. Thupten Phuntshog et Lobsang Tensing collaboreront également avec les tibétologues français...En octobre 1962, grâce notamment à l'entremise de l'amiral Paul Ortoli, Compagnon de la Libération, ancien chef de cabinet du Général de Gaulle à Londres, et de son épouse, Brynhild Helander, élève de Dagpo Rinpoché, la France accueille vingt enfants tibétains exilés, âgés de 6 à 10 ans (10 garçons, 10 filles) à qui elle accorde le statut de "Pupilles de la Nation". Ils sont accompagnés par un couple de tuteurs (M. et Mme Norgyé). Jusqu'à leur majorité, ils sont hébergés et scolarisés successivement à La Coûme (Pyrénées orientales), Bléneau (Yonne) et enfin à Valpré (Ecully, Rhône), chez les Assomptionnistes. Un certain nombre demeureront en France. D'autres s'établiront en Suisse, en Angleterre et au Canada. En 1965, l'ORTF documentera la période de La Coûme dans un petit film (https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/ caf86013664/les-enfants-du- tibet) Après la fondation d'un éphémère centre gelugpa à La Chapelle-Vieille-Forêt (Yonne), en 1964, qui verra arriver Guéshé Yonten Gyatso, futur directeur de recherche au CNRS, et Ngawang Dakpa, qui collaborera à l'INALCO, l'implantation du bouddhisme tibétain se développe peu à peu. Les années 1970 marquent la visite en France de grands maîtres tibétains (Kalou Rinpoché, le XVIe Karmapa, Dudjom Rinpoché, Dilgo Khyentsé Rinpoché, Pawo Rinpoché...) qui, avec l'aide de mécènes et de disciples, établissent des centres du dharma relevant principalement des Écoles Kagyu et Nyima, mais aussi Gelug et Sakya. Des lamas tibétains s'y installent et en deviennent les directeurs spirituels (Pema Tulku Wangyal Rinpoché, Jigme Rinpoché, Guendune Rinpoché, Lama Teunsang, Gueshé Lobsang Tengyé, Phendé Rinpoché...). Retraité de l'INALCO, Dagpo Rinpoché, à la demande de ses élèves, fondera quant à lui l'institut Guépèle, un centre gelugpa en région parisienne. Plusieurs de ces centres seront reconnus par l’État français comme congrégations religieuses.A la même époque, quelques poignées d'autres réfugiés tibétains arrivent en France pour y suivre des études, travailler, fonder une famille, s'installer. Dans ce petit noyau, fort seulement de quelques dizaines de personnes, naissent les premiers enfants de la seconde génération. En 1981, la Communauté tibétaine de France et ses Amis se structure en déposant des statuts d'association Loi de 1901, après plusieurs années d'existence informelle. La première boutique tibétaine ouvre rue Burcq, à Montmartre en 1985 et, en 1988, le premier restaurant tibétain de France s'établit sur la Montagne Sainte-Geneviève (Tashi Delek). De nombreux autres suivront. Par ailleurs, un Bureau du Tibet est créé à Paris par l'Administration centrale tibétaine (ACT) en 1993.Si le format de la Communauté tibétaine jusqu'à la fin du XXe siècle et le début du XXIe ne compte guère plus de quelques centaines de membres (300 à 400), ce qui fonde la vie de la Communauté tibétaine de France a déjà ses marques, ses dates et ses lieux symboliques. Le Losar en début d'année, la commémoration du 10 mars 1959, l'anniversaire de Sa Sainteté le Dalaï-Lama le 6 juillet, le Festival du Tibet et des peuples de l'Himalaya en juin ou en septembre (depuis 2000). La Montagne Sainte-Geneviève, le Trocadéro et l'Esplanade des Droits de l'Homme, la Grande Pagode du Bois de Vincennes accueillent ainsi annuellement fêtes et manifestations... Sur une toute autre échelle, de grands rassemblements ponctuent aussi ces décennies avec les visites du Dalaï-Lama en France. De son tout premier voyage en 1982 (au cours duquel il se rendra dans la maison d'Alexandra David-Néel, à Digne) au dernier en date, en 2016, le Dalaï-Lama aura effectué 24 visites en France, dont une de 3 semaines en 1993.Un tournant majeur survient à partir des années 2010-2012 qui voit s'accroître les arrivées de réfugiés tibétains et les effectifs de la Communauté. Pour certains, le premier contact avec la France prend corps à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) où la péniche "Je Sers" et l'association La Pierre Blanche constituent la première étape, parfois ardue, de cette nouvelle vie. Les lieux de la Communauté se diversifient, avec désormais le quartier Stalingrad-La Chapelle et le Jardin d'Eole, dans le nord de Paris, où les restaurants se multiplient, de même que certaines communes de la Petite Couronne voient les familles se regrouper. De nouvelles associations accompagnent les réfugiés dans leur démarches d'intégration, ou leur permettent de se retrouver, dont de plus en plus d'associations tibétaines. Des "écoles du dimanche" sont également instituées pour que les enfants nés et scolarisés en France puissent apprendre et conserver l'usage de la langue tibétaine. En 2024, c'est ainsi une Communauté de 10 à 15.000 Tibétains, dynamique et déterminée à conserver vivantes les valeurs et la culture du Tibet, qui fait montre dans son pays d'accueil d'une remarquable volonté d'intégration, sans rien renier de son identité quand celle-ci se voit de plus en plus menacée au Tibet même.